Shakespeare sous toutes ses formes
Cet atelier (en français) se construit autour d’une sélection de pièces de Shakespeare.
À travers la (re)découverte d’extraits de pièces, de mises en scènes, d’adaptations cinématographiques, de réécritures, ou de travaux d’iconographie, l’œuvre de Shakespeare sera appréhendée de façon transversale sous diverses formes.
Un travail collectif de mise en voix et de mise en scène d’extraits choisis invitera à l’immersion dans l’univers shakespearien, à l’incarnation de ses personnages types et au travail des corps dans l’espace. L’atelier a donné la possibilité d’assister à des mises en scènes de pièces de Shakespeare.
Responsable de l’atelier : Jeanne Schaaf


“Doubt truth to be a liar ; But never doubt I love.” Act II Scene 2
“Doutez que la vérité soit infâme. Mais ne doutez jamais de mon amour”. Acte II Scène 2
Edward H. Bell - 1879 Black and white lithographic print of a painting by Edward H. Bell of Henry Irving and Ellen Terry in the nunnery scene from William Shakespeare's Hamlet

“For Hamlet and the trifling of his favor, Hold it a fashion and a toy in blood, A violet in the youth of primary nature, forward, not permanent, sweet, not lasting, The perfume and suppliance of a minute ; No more” Act 1 Scene 3 Line 9-11
"Quant à Hamlet et de ses frivoles attentions, prend cela pour une lubie, un jeu d'enfant, une violette dans le printemps de la jeunesse, précoce mais éphémère, suave mais sans durée, le parfum et l'attention d'une minute, pas plus." Acte I, Scène 3
DELACROIX Eugène (1798 - 1863), Reproches d'Hamlet à Ophélie, Suite lithographique " Hamlet " : Reproches d'Hamlet à Ophélie. " Va-t-en dans un couvent !" Acte III, scène I, musée Eugène-Delacroix (Paris)

“You should not have believed me” Act III scène 1
“ Tu n’auras jamais dû me croire “ - Acte III, scène 1
Alexandre Cabanel. 1883 - Ophélie

“I loved Ophelia : forty thousand brothers ; Could not, with all their quantity of love, Make up my sum.” Act V scène 1
« J’aimais Ophélie. Quarante mille frères ne pourraient pas, avec tous leurs amours réunis, parfaire la somme du mien. » Acte V, Scène 1
Eugène Delacroix, Suite lithographique "Hamlet" : l'enterrement d'Ophélie, Hamlet et Laertes se battant, Paris, musée national Eugène Delacroix


So that's me dead. Dead. Yet, I've only passed the great divide to find myself dissolving like a lump of sugar, sweet and fragile, through space and time; to find myself reassembled, conjured up as a pre-Raphaelite icon, only to flatter some artist's sad taste for the past. That's me, stuck in a stream of his dusty colours, a captive surrendering to the flow of his brush. How daring is the Promethean hubris compared to the sway of his stroke, when it moulds the mute girl and resuscitates her silence! Forever beautiful, her skin won't be marred by the water loading her pores, like a formaldehyde spring. Forever stuck in a narrative of their own, with no prospect of ever telling them how I – and not destiny - chose my fate.
A broken twig! How convenient! A sickening plethora of allegories of weakness! Even a beardless Petrarch would not have dared, to produce those easy conceits which hush reality's truth. A farewell which amounts to a broken bough. A few drowned flowers adrift and erratic like a woman.
Hamlet's purported suicide voiced to the world, mine, on the contrary, immortalized as a doubt, a silence, then a lie.
Une des Ophélie de l'atelier

Ophélie parle à Ernest, le peintre du tableau.
Ernest, Ernest, Ernest… C’est tout le peu de cas que tu fais de ma folie ?
Des cheveux fous, un pauvre lierre et de grosses cernes ?
Est-ce ainsi que tu me vois ? Une femme blafarde perdue dans une nature informe ?
Une femme passive qui a déjà accepté son sort ? Après tout, je ne suis qu’à quelques heures de ma mort, j’imagine que c’est tout ce que l’on a retenu de moi.
Même dans ton propre tableau, je te juge silencieusement de ne pas être allé chercher plus loin. Tu as sous ta brosse toutes les couleurs et l’imagination de l’univers pour rendre avec le plus d’exactitude, de vérité et de force ma folie, et toi, tu me mets trois fleurs dans les cheveux et tu t’estimes satisfait ?!
Peut-être suis-je trop exigeante ? Tu as peut-être voulu me sublimer, faire de moi une femme fatale, une nymphe déjà retournée à l’état sauvage… Tu es sûrement intimement persuadé de m’avoir saisi, comprise, et même, de me connaitre.
Mais, à la fin, qu’est-ce que tu y connais à ma folie ? Tu l’as vécu, toi, Ernest Hebert ? Ton père est-il mort, tué par l’homme que tu aime ? Ce même homme t’a-t-il séduit, a-t-il pris ton innocence avant de te rejeter violemment ? As-tu cherché de l’aide et a été repoussé par tous et toutes, derrière de faux sourires ?
De quel droit peux-tu même oser imaginer me comprendre ? Qui ici peut nous comprendre, moi et ma folie, plutôt que de vous cacher derrière de pauvres fleurs ?
Alice, une autre Ophélie de l'atelier

I-
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... - On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir
Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile : - Un chant mystérieux tombe des astres d'or
II -
O pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure, À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits, Que ton coeur écoutait le chant de la Nature Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;
C'est que la voix des mers folles, immense râle, Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ; C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu : Tes grandes visions étranglaient ta parole - Et l'Infini terrible éffara ton oeil bleu !
III -
- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ; Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Arthur Rimbaud - Poésies

Ophélie : héroïne romantique.
Comparaison entre les œuvres :
• Leopold Burthe (1823-1860), Ophélie, 1852, huile sur toile, musée Sainte Croix de Poitiers.
Dans le mouvement romantique, les femmes sont omniprésentes dans les représentations artistiques. Il s’agit le plus souvent de personnages féminins aux récits de vie dramatiques : passions fortes, désespoir, mélancolie, mort précoce, souvent causées par l’amour ou la folie. Elles sont généralement représentées jeunes et diaphanes, fragiles, dénudées, résignées face à leur destin inéluctable. On ne peut pas être autrement femme, les femmes puissantes n’intéressent pas les romantiques. La folie en tant que tel est souvent un prétexte pour érotiser le corps féminin comme dans le tableau de J. Füssli, Le Cauchemar, en 1781. Dans le texte de Shakespeare, Ophélie est retrouvée morte dans un ruisseau, on ne sait pas si c’est la conséquence d’un accident ou d’un suicide. Ce doute laisse place dans les représentations à une ambiguïté : Ophélie est-elle actrice de sa mort, proie de sa folie, ou malheureuse victime d’un accident.

Ophélie est allongée dans un ruisseau, une couronne de fleurs dans ses cheveux défaits, ils flottent à la surface. La lumière se reflète sur sa peau laiteuse et sur sa robe blanche, opérant une confusion à certains endroits entre le tissu et son corps cela créer un drapé mouillé. Elle est dénudée : un sein est donné à voir au spectateur, elle serre un bouquet contre son autre sein et se retient avec son autre main à la branche d’un saule pleureur. Ses yeux sont clos, elle ne nous voit pas, mais nous, nous la regardons.
La composition est centrée sur le corps d’Ophélie : elle est la source de lumière du tableau et semble flotter dans l’eau. Elle a une expression paisible, on peut supposer qu’il s’agit d’une représentation où elle va mourir la minute suivante ou qu’elle vient juste de pousser son dernier souffle. Sa position n’est néanmoins pas du tout celle que l’on peut attendre d’une femme, noyée, morte ou mourante. Ici, elle semble irrépressiblement tourner son corps vers l’observateur : un spectateur voyeur.
Le cadre est un prétexte : un paysage de lisière de forêt, dans lequel on ne trouve pas d’élément qui puisse nous aider à nous situer dans une époque. Ce décor bucolique rapporte de la candeur à une scène terrible.
Le doute laissé dans le texte d’Hamlet concernant la cause de la mort d’Ophélie apparait ici. En effet, elle se retient à la branche du saule, ce qui peut indiquer qu’elle n’est pas encore morte et que peut-être, elle hésite à se laisser mourir ou à se donner la mort. Le fait de la représenter au moment charnière de sa mort nous place directement face à la tragédie de l’histoire du personnage d’Ophélie. Ce type de représentations rappelle celles des saintes martyres, comme dans le tableau de Paul Delaroche, Jeune Martyre, réalisé en 1865 et conservé au musée du Louvre à Paris.

Le tableau représente le motif de « la belle défunte » et s’inscrit dans un gout, commun aux différents artistes romantiques, et plus largement au XIXe siècle pour les femmes mortes à la beauté qui ne saurait disparaitre. On peut tisser des liens avec le masque mortuaire de l’Inconnue de la Seine, une jeune femme retrouvée en 1865 dont le masque mortuaire supposé a circulé auprès des artistes à autour de 1900, notamment en littérature (Aurélien, Louis Aragon, 1944).

Enfin, le goût pour Hamlet ne naît pas de nulle part chez les romantiques. En 1827, est donnée une représentation de la pièce Hamlet au théâtre de l’Odéon, à Paris. L’ interprétation du rôle d’Ophélie est attribuée à l’actrice irlandaise Harriet Smithson.
- Auguste Préault (1809-1879), Ophélie, 1842, relief en bronze, musée d’Orsay à Paris.
Cette œuvre est un bas-relief en bronze mesurant 2 mètres de longueur pour 75 mètres de largeur et 20cm de de profondeur. Il sculpte d’abord cette œuvre dans du plâtre en 1842, elle n’est fondue en bronze qu’en 1876 à la fin de sa carrière, lorsque ce dernier trouve de la reconnaissance et dispose d’assez de ressource pour fondre son œuvre dans un matériau dit noble.
L’artiste a opté pour des dimensions de représentation à échelle humaine et a inscrit son relief dans un cadre, ce qui peut constituer un lien avec les représentations picturales d’Ophélie.
Le corps d’Ophélie occupe presque toute la surface de l’œuvre, l’élément aquatique est représenté avec une succession de lignes formant des sortes. Elle est allongée, ses yeux sont clos et sa bouche entrouverte. Son corps semble flotter et ses vêtements marquent avec le drapé mouillé les formes de son corps. Ses longs cheveux sont dénoués. Le choix du bronze, pour sa couleur et sa capacité à représenter la densité de matière donne l’impression que le corps d’Ophélie est sur le point d’être englouti dans les abysses. Cette couleur rappelle l’obscurité de la nuit, soit le moment où Ophélie est enterrée dans Hamlet. On peut également interpréter la forme rectangulaire de cette œuvre comme une vue que l’on aurait d’un cercueil ouvert, sur le personnage noyé d’Ophélie. Cette œuvre rappelle les plaques funéraires du Moyen-âge ou de la Renaissance, avec les représentations de morts en gisants ou en transi. L’influence de l’art funéraire est importante dans cette œuvre.
On retrouve les guirlandes de fleurs qu’Ophélie tresse avant de mourir, une mort qui ne fait même pas l’objet d’une scène à part entière et intervient comme intrigue de second plan à travers un discours rapporté.
Auguste Préault est formé dans l’atelier des sculpteurs romantiques David d’Angers et Antonin Moine. Les œuvres qu’il propose au Salon sont jugées trop provocantes, car, contrairement à ses contemporains, il ne représente pas des héros antiques, des sujets mythologiques ou allégoriques, il se passionne pour les œuvres de Shakespeare et notamment l’œuvre d’Hamlet. L’œuvre qu’il propose pour illustrer la mort d’Ophélie se distingue par sa facture brute, liée au choix du matériau qui, plus que le marbre, permet de mouler les formes selon son désir et offre en plus une couleur sombre éloignée de la réalité, sur laquelle la lumière produit des effets de lumières qui rappellent l’élément aquatique. Les contours sont indéfinis et parfois inachevés, en cela Préault s’inscrit dans la pratique du non finito, à l’instar de Michel-Ange et d’Auguste Rodin.
